Le 29 mai dernier, pour la première fois de l’année, le Préfet de Loire-Atlantique prenait un arrêté de restriction d’usage de l’eau sur une partie du territoire du SAGE Estuaire de la Loire. La menace d’une nouvelle sécheresse, à l’image de celle vécue en 2019, n’est d’ailleurs pas écartée, malgré les pluies du début du mois de juin, avec un impact qui pourrait être considérable.

Sur notre bassin versant, l’eau est en effet principalement réservée à trois usages : l’alimentation en eau potable, l’agriculture et l’industrie. Cette ressource est essentiellement issue des eaux dites « de surface » ou « superficielles », c’est-à-dire de rivières ou de la Loire, fortement sensibles aux variations pluviométriques.

L’eau potable : l’usage prédominant

L’alimentation en eau potable est de loin l’usage prédominant, devant l’industrie et l’irrigation. « Les trois-quarts de l’eau potable du département proviennent de la Loire », explique Pauline Sainte, responsable de la mission stratégique eau et environnement à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de Loire-Atlantique, « il est rare de connaître un problème de débit sur le fleuve mais cela peut arriver ».

La part pour l’irrigation a augmenté, passant de 4,1 % en moyenne entre 2004 et 2007 à 10,7 % entre 2008 et 2014 sur le territoire du SAGE. Une hausse qui s’explique en partie par la généralisation des compteurs d’eau. De façon générale, les prélèvements agricoles, bien que variables selon les conditions météorologiques, se stabilisent autour de 11 Mm3/an.  A noter que cette utilisation intervient à l’étiage, lorsque les ressources sont moins disponibles et les milieux les plus fragilisés. Les prélèvements industriels présentent, quant à eux, les variations les plus significatives (de 4 à 14 Mm3/an) en fonction des évolutions de la production ou des process. Comme pour l’eau potable, ces prélèvements sont très largement réalisés en Loire. Entre 2004 et 2014, quelle que soit l’utilisation, l’eau était issue pour 82 % des eaux superficielles, dont 20 % de la nappe alluviale, et pour 18 % des eaux souterraines.

Une ressource vitale

L’été dernier, au regard du faible débit de la Loire (stabilisé juste au-dessus de 100 m3/s pendant plusieurs semaines), le pompage d’alimentation en eau potable de Mauves-sur-Loire, dont dépend la métropole nantaise, a été interrompu (quelques heures par jour) lors des grandes marées : l’eau était devenue trop turbide et salée pour pouvoir être traitée et redistribuée. « Une dizaine d’arrêtés sécheresse ont été pris l’année dernière dont la moitié en cinq semaines, entre le 4 juillet et le 8 août. Onze bassins versants sur 14 du département ont été identifiés comme étant en situation de crise », précise Pauline Sainte, « cette période de sécheresse importante nous a imposé d’appliquer immédiatement un arrêté cadre qui n’avait été adopté que le 1er juillet, avec des restrictions fortes, y compris sur des usages liés à l’eau potable. Cela a soulevé énormément de questions chez les usagers ».

Afin de répondre aux interrogations et d’adapter si nécessaire aux besoins des usagers de façon plus fine, le document, les services de l’Etat ont donc travaillé à des ajustements de l’arrêté cadre : « Nous n’avions pas été suffisamment clairs dans nos formulations. Nous avons par exemple eu des spécialistes du nettoyage de façade de maison qui se demandaient s’ils avaient ou non le droit de pratiquer encore leur activité ; ou encore des particuliers qui s’interrogeaient sur l’arrosage de leur potager. Le texte a donc été retravaillé. Certaines règles ont été reformulées, d’autres assouplies, d’autres durcies. Par exemple, la règle s’imposant à l’arrosage des potagers, qui est pour certains particuliers une véritable ressource alimentaire, a été assouplie. En revanche, celle concernant le remplissage des piscines privées a, elle, été durcie ».Le changement climatique a commencé

Les suivis hydrologiques effectués sur le territoire du SAGE Estuaire de la Loire ont permis d’identifier les sous-bassins versants présentant une sensibilité particulière aux assecs : Erdre amont, Hâvre-Grée, Goulaine, Divatte, Robinets, Haie d’Allot, Tenu amont et Brivet amont. Une sensibilité qui risque de s’accroître avec le changement climatique : « Il a déjà commencé. Les vagues de froid sont déjà moins nombreuses et moins intenses. Les vagues de chaleur, à l’inverse, sont plus nombreuses avec des sécheresses des sols plus fréquentes et plus sévères. Dans les seuls Pays de la Loire, la surface des sécheresses est passée de 5% dans les années 1960 à plus de 10% de nos jours », explique Lionel Salvayre, référent territorial Pays de la Loire à Météo France. Selon le scénario SRES-A2*, développé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les périodes de sol sec devraient s’allonger de 2 à 4 mois alors que les périodes humides devraient se réduire dans les mêmes proportions. « Sur la Loire à Montjean, le débit annuel pourrait baisser de 10 à 45% selon les projections ! », poursuit Lionel Salvayre.

Le projet national Explore 2070, lancé en 2010 par les services de l’Etat et les agences de l’eau, a permis d’évaluer de façon plus fine les impacts du changement climatique sur la ressource en eau. Les premières simulations effectuées vont être mises à jour pour des résultats diffusés et valorisés à partir de 2022. Sur le territoire du SAGE Estuaire de la Loire, c’est dès cette année que sera lancée par sa structure porteuse, le Syndicat Loire aval (SYLOA), une étude besoins/ressources en eau (lire l’interview de Christian Couturier, Président du Syndicat Loire aval) qui devrait s’étaler sur deux ans. Un projet phare voulu par la Commission locale de l’eau dans le cadre du SAGE révisé et qui devrait permettre d’organiser au mieux sur notre territoire le partage de cette précieuse ressource.

 

* Les scénarios de la famille A2 développés par le GIEC prévoient un monde hétérogène : la croissance économique et le développement des technologies énergétiquement efficaces seraient dans ce cas très variables selon les régions et la population atteindrait 15 milliards d’habitants à la fin du siècle sans cesser de croître.

Etude Hydrologie Milieux Usages Climat

Christian Couturier, Président de la CLE du SAGE Estuaire de la Loire et du Syndicat Loire aval : « Vers une gestion concertée »

 

La gestion quantitative de l’eau était déjà identifiée comme un enjeu du SAGE Estuaire de la Loire lors de sa mise en œuvre en 2009. Dans le cadre du SAGE révisé, cet enjeu tient une place plus importante. Pour quelles raisons ?

La population augmente. L’agriculture s’est intensifiée tout comme une partie de l’activité économique. Même si les industriels ont fait des efforts importants pour économiser les ressources, les besoins ont augmenté. C’est un terrain nouveau pour le SAGE et d’autant plus important que l’évolution du climat va rendre encore plus prégnante cette question. Tous les ans, des arrêtés sécheresse sont désormais signés par le Préfet. Il est donc impératif de mettre en place une gestion concertée.

 

Le Syndicat Loire aval va mener une étude portant sur les besoins et les ressources en eau. Quels sont les objectifs de cette étude ?

Concernant la gestion quantitative de l’eau, nous faisons face à deux problèmes : un problème de quantité mais aussi de connaissance, insuffisamment approfondie. Où se trouvent les ressources sur notre territoire ? Comment sont-elles utilisées ? Par qui ? C’est en répondant à ces questions que l’on pourra ensuite organiser la répartition de l’eau sur le territoire en fonction des usages.

 

En quoi cette étude va-t-elle consister ?

Il s’agit d’une étude dite HMUC, c’est-à-dire Hydrologie Milieux Usages Climat. Elle va nous permettre notamment d’identifier les sous-bassins versants en tension quantitative en croisant ces différents éléments que sont les milieux, les usages, l’hydrologie et l’hydrogéologie, et tout ceci dans une perspective de changement climatique. Les volumes disponibles seront évalués par type de ressources (nappe souterraine ou superficielle). Les débits d’objectifs d’étiage suffisants pour répondre aux besoins des milieux et de l’alimentation en eau potable ainsi que des volumes prélevables par catégorie d’usagers seront définis. Tout ceci fera bien sûr l’objet de nombreux échanges avec les différents usagers. Il s’agit bien de tendre vers une gestion concertée.

 

Quand aurons-nous les résultats de cette étude ?

C’est une étude extrêmement ambitieuse, sans doute l’une des plus importantes qui sera menée dans le cadre du SAGE révisé. Elle devrait prendre deux ans par le biais d’une prestation externalisée avec un lancement du marché d’ici la fin de l’année.